Ma famille est riche, très riche. Mais je vous arrête tout de suite avant que vous ne dériviez d'avance dans le cliché, je ne suis pas un sale gosse en colère contre ses parents ou contre le monde qui cherche la moindre occasion de leur faire payer. D'aussi loin que je m'en souvienne, je possédais déjà ma propre manière de pensée. Je n'aimais pas l'idée de devoir me fondre dans la masse, ma tête était remplie de questions et ma bouche se chargeait de les poser autant à mon enseignante qu'aux personnes de mon entourage. Je ne comprenais pas la raison qui devait m'obliger à rentrer dans le moule dessiné par la société au sujet des enfants, les arguments qui m'étaient fournis ne me paraissaient pas cohérents, les adultes se trouvaient parfois à cours d'idées, car j'étais loin d'être un idiot inculte. En quoi était-ce si mal de vouloir être moi ? En quoi était-ce un problème si j'étais différent des autres ? Je n'ai jamais trouvé les réponses à ces questions, à la place, j'ai été catalogué au rang de rebelle. Ils se sont trompés sur un point, je n'ai jamais eu honte d'être comme je suis, c'est même ma plus grande fierté, peu importe ce que les autres pensent.

Puisqu'il ne m'était pas réellement permis de parler de tout ce que je voulais, j'ai continué à beaucoup penser et aussi à écrire. La musique m'a toujours attiré, elle et les idées qu'elle véhicule. C'est donc naturellement que le rap m'a intéressé, je ne pratiquais qu'entre amis, car oui j'en ai eu quelques-uns... D'autres jeunes comme moi qui étaient relégués au rang de futurs déchets de la société. Il m'arrive très rarement de me mettre en colère, je ne suis pas de ceux qui imposent leurs idées, j'aime échanger avec d'autres, nous ne sommes pas obligés d'être d'accords sur tout, tant que l'on prend en compte que des avis peuvent être divergents sans pour autant mener aux insultes. Par contre, je ne me suis jamais laissé faire. Quand on me cherche un peu trop, on me trouve.

J'ai un don certain en danse, c'est assez pratique en boîte pour draguer. Mes parents m'ont toujours autorisé à faire ce que je voulais. Mon amour de l'informatique a grandi en même temps que mon corps, une fois diplômé du lycée, j'aurais très bien pu intégrer n'importe quelle école dans ce domaine. Cela ne m'a jamais attiré, j'ai préféré rester parmi ceux du monde underground. Là-bas, je suis connu en tant que rappeur sous le pseudonyme de Kan. Bien que je n'en aie pas besoin, je travaille en tant que serveur dans une petite salle de concerts. Il m'arrive même de passer sur scène quand elle est ouverte à tous. Mes textes ne sont ni agressif, ni diffamatoire, ni critique, ils tentent tous d'ouvrir les yeux à ceux qui se penchent sur ma musique. Je cherche seulement à ce que les personnes parviennent à réfléchir d'elles-mêmes. J'ai d'ailleurs été jusqu'à me servir des grands écrans de Shibuya, à poser une question simple dans un temps espacé à plusieurs reprises en signant Lux, cela m'a valu d'être catalogué parmi les cyber-criminels.

Il est temps d'en venir au dernier point. Je chéris ma liberté, autant celle de penser que d'agir, si bien que je ne tolère pas qu'on m'entrave d'une quelconque manière. Je n'ai pas à me plaindre de mon physique, il me permet d'obtenir ce que je veux en général, séduire me plait, consommer n'est pas ma priorité, tout dépend de la situation. Je ne suis pas quelqu'un de désagréable, peut-être un peu mystérieux et sauvage. L'art de la provocation m'est très bien connu, si j'ai décidé d'être bavard, parfois il m'arrive aussi de me moquer un peu. Je peux également me montrer assez direct, tout dépend de mon humeur.

La fortune des Saito n'est pas le fruit du travail de plusieurs générations, elle est toute récente, résultat incroyable d'un placement d'argent réalisé par un très bon ami à eux qui les a propulsé de libraires à riches à plein temps. Autant préciser qu'ils ont largement de quoi vivre jusqu'à la fin de leurs jours et plus encore, surtout qu'ils ne se sont pas arrêtés là dans les opérations bancaires, ce qui n'a été que plus lucratif encore. Comme ils avaient toujours voulu avoir au moins deux enfants, ils mirent en route le premier, priant que leur vœu d'avoir une petite fille fut exaucé. C'est ainsi que naquit Emi. Elle resta seule et chérie de ses parents durant trois années, puis arriva leur garçon qu'ils prénommèrent Kaneo.

Leur réussite suscitait les convoitises, ils ne s'en préoccupaient pas, tout comme ils n'avaient pas pris la grosse tête. Gens cultivés, ils éduquèrent leurs enfants dans ce sens, sans les restreindre. Kaneo grandit donc dans ce milieu favorable au développement, doté d'une soif d'apprendre et de comprendre immense, il ne se lassait pas des anecdotes racontées par ses parents et encore moins de passer des heures à lire dans leur immense bibliothèque, se forgeant ainsi sa propre opinion sur beaucoup de sujets. Pas spécialement proche de sa sœur aînée traitée comme une petite princesse, ils ne passaient du temps ensemble que par obligation parentale.

Adolescent, son indépendance était un fait connu de toute la famille qui ne lui en tenait pas rigueur, ravie de savoir qu'il volait déjà de ses propres ailes. Quelques mois plus tard, Emi ramena chez eux le premier d'une longue liste de petits-amis, se désespérant de ne pas trouver le bon. Vu comme elle était difficile, cela ne surprenait pas Kaneo. Ils ne restaient d'ailleurs jamais bien longtemps avec elle. Excepté le dernier avec lequel elle entretient une relation sérieuse depuis trois ans. La découverte de cette relation extra-conjugale avait secoué toute la maison, le plus jeune, en tort aux yeux des autres, s'était vu exilé dans un appartement de l'autre côté de la ville. Cela n'empêche pas sa mère de tenter de venir le voir souvent et de trouver porte close, non pas qu'il ne souhaite pas lui parler, il passe le plus clair de son temps dehors.

Ce pas supplémentaire franchi dans sa soif de liberté, ses activités l'occupent suffisamment. Son espoir de faire bouger les choses ne l'a jamais quitté, il ne souhaite pas une révolution, juste que les êtres de ce pays choisissent réellement la vie qu'ils embrassent  plutôt que de suivre le courant imposé par la majorité.